Alors que le gouvernement américain se prépare à publier une nouvelle stratégie de défense nationale, le think The Atlantic Council a proposé fin décembre un rapport intitulé “Seizing the Advantage: A Vision for the Next US NationalDefense Strategy” (72 pages, Washington, 21 décembre 2021) dans lequel il dresse un bilan de la situation dans laquelle se trouve l'Amérique aujourd'hui sur le plan de la sécurité et de la défense nationale et propose quelques mesures qui devraient être prises dans l'urgence pour contrer les velléités de la Chine et de la Russie, menaces à la paix mondiale.
Le rapport s’ouvre sur une affirmation
discutable : « the risks to the United States, its interests, and
those of its allies and partners are more pronounced than even four years ago”.
Ce qui nous semble discutable ici, c’est cette assimilation systématique
qui est faite entre les intérêts des Etats-Unis et ceux de ses alliés ou
partenaires. La Chine et la Russie défient l’Amérique, et si la pression s’exerce
également sur d’autres Etats dans le monde, que ce soit en Asie, en Europe ou
ailleurs, elle n’est sans doute pas partout la même. Mais cette Amérique là se
plaît toujours à faire universels ses projets et ses intérêts.
Dans ce rapport, plus
généralement dans l’approche géostratégique et politique américaine officielle,
la menace terroriste est désormais reléguée à l’arrière-plan. Exit la menace
terroriste islamiste, de l’Etat islamique? Dès les premières pages du document,
est insérée une citation extraite de la National Defense Strategy (2018) du Département
de la Défense américain : « Inter-state strategic competition, not
terrorism, is now the primary concern in U.S. national security ».
Il ne resterait donc plus, pour
décider du sort du système international, que 3 Etats : les Etats-Unis,
menacés par la Chine et la Russie. Les autres acteurs que sont l’Iran et la
Corée du Nord ajoutent bien sûr à la menace mais ne semblent pas aussi centraux.
Viennent complexifier la situation bien d’autres défis : la violence des
organisations extrémistes, le changement climatique, l’augmentation de l’arsenal
nucléaire des puissances hostiles, etc.
Ce conflit avec la Chine et la
Russie est analysé sous l’angle des affrontement
hybrides (désignant une combinaison d’actions de nature politique,
économique, diplomatique, militaire, d'opérations d’information, de cyber-opérations, d'opérations spéciales…), formes qu’il prend aujourd’hui. Mais la vision du
conflit et du système international délivrée est classique, renvoyant à des affrontements
frontaux entre grandes puissances, entre Etats, dans lesquels est réaffirmée l’importance
de facteurs tels que la masse ou le nombre (d’armes autonomes, de missiles, de
cyberattaques…), la vitesse (des frappes, de la prise de décision…) et la
surprise.
Pour contrer ces menaces, le
think tank The Atlantic Council préconise :
- D’adopter des mesures offensives d’affrontement
hybride dans la zone grise (formes d’affrontements en dessous du seuil de la
guerre armée), de manière urgente
- De construire les forces de défense capables de
se battre dans ce nouvel espace de conflit, en sachant s’adapter aux nouvelles
conditions ;
- De redynamiser dans le monde les partenariats de
défense, avec les acteurs habituels, et de nouveaux ;
- De focaliser les efforts sur la dimension
technologique.
Dans le discours américain il y a donc deux niveaux de
légitimation de l’action. Le premier consiste à désigner l’autre comme étant l’adversaire,
la menace existentielle. Le second consiste à affirmer que l’autre est l’initiateur
du conflit, et que la nature des agressions subies n'est qu'une réaction nécessaire qui justifie les
moyens mobilisés pour les contrer. Le récit est somme toute conventionnel. Le « cyber »
n’y occupe pas une place centrale, et cela contribue aussi à revenir à une vision des conflits armés qui bien que très technologisés, s’expriment dans tous
les domaines. On notera enfin que la vision ou les intérêts de l’Union
Européenne ne sont guère invoqués dans cette lecture des rapports de force
mondiaux.