Note de lecture de « Cyber Operations in DOD Policy and Plans: Issues for Congress ». CRS Report.
Catherine A.
Theohary et Anne I. Harrington viennent de rédiger un court rapport (33 pages)
publié par le Congressional Research Service (CRS) américain, intitulé “Cyber Operations in DOD Policy and Plans:
issues for Congress”. Le rapport est daté du 5 janvier 2015.
Ce document peut être divisé en deux parties: la
première, d’intérêt très relatif, revient sur le contexte et les éléments de la
cybersécurité, en abordant de manière rapide (et donc superficielle) les
notions de cyberespace, cyberarmes (malware, botnets, attaques DDoS), systèmes
automatisés de défense, cibles (réseaux du gouvernement et des armées,
infrastructures critiques), acteurs (Etats, hacktivistes, terroristes et
criminalité organisée), APT, problématique de l’attribution, environnement de
la menace (avec rappel des faits marquants récents que sont les attaques contre
l’Estonie, le conflit russo-géorgien, les cyberattaques contre l’Iran), le tout
en une petite dizaine de pages, et sans apporter d’éléments d’information
nouveaux. Nous retenons toutefois de cette première partie les quelques lignes
dédiées aux moyens de réponse aux cyberattaques automatisés. Ce hacking de
représailles (retaliatory hacking)
semble être pratiqué davantage dans le secteur privé qu’au sein des forces
étatiques. L’Etat peut être cependant engagé dans de telles cyberattaques
réactives dans des situations spécifiques de crise et de combat. Mais l’Etat
peut-il encourager cette pratique dans le privé, alors que le cadre légal
prohibe la diffusion de malware et l’intrusion dans des systèmes ? Doit-on
interdire ces contre-attaques lorsqu’elles permettent de faire cesser les
atteintes préjudiciables à la sécurité nationale ? La DARPA finance un
programme important pour le développement de systèmes de sécurité automatisés
capables de répondre à des cyberattaques et de les neutraliser. Rappelons aussi
que d’autres Etats financent de telles initiatives (le Japon par exemple).
La seconde partie nous semble plus
intéressante : elle traite des
institutions de la cybersécurité/défense américaine, des partages des rôles
entre elles, des missions attribuées, des responsabilités, des moyens alloués,
et de toute cette dynamique d’institutionnalisation de la cyberdéfense initiée aux
Etats-Unis depuis plusieurs années désormais.
I - La répartition des rôles et la définition des règles
1- La
cybersécurité est prise en charge au
niveau national par une institution placée au sein même de la Maison Blanche, dirigée par le Coordinateur de la Cybersécurité (Cybersecurity Coordinator) souvent
désigné Cyber Czar (fonction créée en 2009 par l’administration Obama).
2- Le
Cyber Commandement combine capacités et missions défensives et offensives. Il a
la charge de la défense des réseaux de l’armée (domaine .mil). Ses missions
sont définies dans le cadre de l’U.S.C. Title 10. Le cyber commandement réunit trois types de
forces cyber :
o
Des forces nationales (national mission
forces): dont le rôle est de protéger les infrastructures critiques
essentielles à la sécurité nationale et économique
o
Des forces de combat (combat mission forces):
dont le rôle est d’aider les commandements militaires à mettre leurs plans en
œuvre
o
Des forces de cyber-protection (cyber protection
forces) : dont la fonction est de sécuriser, protéger les réseaux du DoD.
3- La
NSA assure les activités de renseignement sigint, et la sécurité de
l’information des systèmes de sécurité nationale. A l’intérieur de la NSA se
trouve le Central Security Service, service de cryptographie des armées. Ses
fonctions sont définies dans le cadre de l’U.S.C. Title 50.
4- Un
programme de partage d’informations sur les cybermenaces a été lancé en mai
2011 (DIB Cyber Pilot) pour faciliter les échanges entre armée, renseignement
et industriels.
5- Le
cadre juridique de la cybersécurité et des cyber-opérations est contenu dans
plusieurs documents :
o
USC Title
10
o
USC Title
50
o
Executive
Order 13636 pour renforcer la cybersécurité des infrastructures critiques (12
février 2013)
o Presidential
Policy Directive 21 : pour renforcer la sécurité et la résilience des
infrastructures critiques (PPD 21) (février 2013)
o
National
Infrastructure Protection Plan (NIPP) 2013 (DHS) (en phase avec la PPD 21)
o
National
Security Presidential Directive 54
o
Homeland
Security Presidential Directive 23
o Section
941 of the National Defense Authorization Act (FY 2013) : attribue la
responsabilité des cyberopérations au Secrétaire de la Défense. Ce dernier est
l’autorité qui conduit les opérations militaires dans le cyberespace, y compris
les opérations clandestines. Les auteurs introduisent ici une réflexion sur la
distinction entre « covert operations » et « clandestine operations ».
Dans une opération clandestine, qui relève bien des missions de l’armée, on
cherche à dissimuler l’opération elle-même mais pas celle de leur commanditaire.
Une opération clandestine est réalisée par une agence de l’Etat. Dans une
opération sous couverture (covert operation) l’accent est mis sur la dissimulation de l’identité
de l’acteur opérant/commanditaire. Une telle action est soumise à l’aval
présidentiel, conformément à l’USC Title 50. Les opérations cyber peuvent
relever dans les faits de ces deux catégories (covert ; clandestine). La
question qui se pose est celle du nécessaire aval présidentiel, du reporting
trimestriel au Comité Défense du Congrès (congressional defense committee), ou
au contraire de la possibilité pour les cyberopérations de se passer du circuit
strict qui s’impose aux actions secrètes (covert). De quel cadre doit relever le computer
network exploitation (CNE) mené par l’armée ?
o La directive présidentielle PPD 20 (octobre
2012), dont le contenu est classifié, distingue défense des réseaux (network defense) et opérations
offensives et défensives dans le cyberespace (offensive and defensive cyberspace operations).
- Pour la défense des réseaux : Les missions
entre les diverses acteurs responsables ne sont pas réparties en fonction de la
nature des menaces (espionnage, terrorisme, criminalité, guerre…) mais en
fonction des domaines (.mil pour le DoD; .gov pour le DHS ; etc.)
- Pour les opérations offensives : elles
relèvent d’un cadre défini dans un document classifié, Executive Order, émanant
du DoD (chef des Etats-Majors – Chairman of the Joint Chiefs of Staff- à la
direction du Secrétariat de la Défense). Ce document classifié définit les
conditions de l’exercice cyber offensif pour le cyber commandement, et les
forces cyber des diverses branches de l’armée américaine (Air Force, Navy, …)
- Les militaires ne peuvent répondre à une
cyberattaque terroriste ou de cyberguerre que sur autorisation et ordre du Président.
II - L’augmentation des ressources
- Le budget cybersécurité demandé par le DoD est
de 5.1 milliards de $US en 2015 (pour un budget TIC de 36 milliards pour le
seul DoD). Ce budget cybersécurité est en hausse de 1 milliard de $entre 2013
et 2014.
- L’accroissement des capacités s’accompagne de
l’augmentation des ressources humaines, passant de 1000 hommes à 6200, entre
2013 et fin 2016. Les forces cyber sont composées à 80% de militaires, 20% de
civils.
III - La prise en compte de l’environnement international
Les règles établies par les Etats-Unis pour assurer
leur cyberdéfense disposent d’un cadre réglementaire national. Mais les
décisions prises au sein de l’arène internationale (dans le cadre de la
convention de Budapest, des résolutions des Nations Unies, du droit
international des conflits armés, du droit des contremesures, de l’OTAN, de
l’UIT, d’accords bilatéraux, mais encore d’institutions comme le G8, l’APEC,
l’ASEAN, l’OAS (Organization of American States), la ligue des pays arabes, l’OCDE,
l’OSCE…) pourraient avoir un impact sur les règles appliquées par le
gouvernement américain pour l’action de ses propres forces de défense. Cette
dimension internationale est prise en compte par les Etats-Unis dans sa
stratégie internationale publiée en 2011, International Strategy for
Cyberspace, qui appelle à une forte coopération bilatérale et multilatérale,
ainsi qu’à une forte participation du secteur privé. Le gouvernement ne
souhaite pas de nouvelle convention internationale, s’appuyant sur la convention
de Budapest, jugée suffisante. Le droit international est également
commenté : le Département d’Etat définit les conditions dans lesquelles
une cyberattaque peut être qualifiée d’usage de la force (septembre
2012) : celles dont résultent des pertes en vies humaines ou des
destructions significatives. Cette
lecture insiste sur les effets, recherchés et produits, et non sur les moyens
employés. Mais l’usage de cyberattaques sans effets cinétiques relève parfois
aussi du conflit armé : les cyberattaques contre des réseaux pendant un
conflit armé sont des actes de guerre et doivent être traitées comme tels
(réponse proportionnée).
IV - L’étude
formule pour conclure plusieurs questions :
- Le droit en vigueur est-il suffisant ?
- Comment les responsabilités du
cyber-commandement et du Département de la défense s’imbriquent-elles juridiquement
avec les obligations et prérogatives du secteur privé en matière de
cybersécurité ? Les auteurs rappellent l’existence du principe de Posse Comitatus,
qui interdit le recours à l’armée pour régler des questions de police/sécurité intérieure. Or
l’obligation faite au Cyber Command de contribuer à la protection des
infrastructures critiques suppose de facto un soutien au secteur privé, qui est
propriétaire de la majorité des infrastructures critiques du pays. La
protection de biens privés par l’armée en temps de paix ne viole-t-elle pas ce Posse Comitatus ?
- Le cyber commandement doit-il être son propre
commandement unifié ? La frontière entre opérations de renseignement et
opérations militaires offensives est très étroite, en raison de la localisation
du cyber commandement et de la NSA dans de mêmes enceintes, et de la direction
des deux institutions par un même homme. Le renseignement cyber (computer
network exploitation) est très proche des cyberattaques (computer network attacks).
Ne faut-il pas, pour éviter les conflits entre USC Title 50 et USC Title 10, donner
une contrôle civil à la NSA et faire du Cyber Command un commandement unifié,
et non plus une structure placée sous le Stratcom ? Le problème essentiel
semble résider dans l’attribution à un seul individu de la direction de la NSA
et du Cyber Command, l’une relevant de l’USC Title 10 l’autre de l’USC Title
50, qui définissent des règles concurrentes ?
- Une cyber-force séparée est-elle
nécessaire ? Si le cyberespace est bien une 5° dimension, pourquoi ne pas
lui attribuer une force spécifique ? La question demeure, avec d’un côté
les partisans d’une arme propre, de l’autre ceux qui défendent la particularité
du cyberespace, à savoir sa transversalité.