Le 2 septembre 2021, The Heritage Foundation (Asian Studies Center) publiait un rapport sur la cybermenace nord-coréenne. Le document, rédigé par Bruce Klingner, tente de démontrer, nombreux exemples à l’appui, à quel point la Corée du Nord constitue désormais une menace dans le cyberespace. Ses cibles, objectifs et modes opératoires sont nombreux : cyber guérilla, ransomware, tentatives de vols de secrets militaires, atteintes graves aux fonctionnements des réseaux informatisés, etc. Pour se défendre contre de telles attaques une vigilance constante est de mise, poursuit l’auteur. Mais les Etats-Unis ont pris selon lui jusqu’ici des mesures trop limitées contre les hackers nord-coréens dont les actions suscitent moins de réactions que les initiatives de Pyongyang dans le domaine nucléaire. L’auteur appelle les autorités américaines à davantage de fermeté à l’encontre de la Corée du Nord et de tous les pays qui lui apportent soutien dans la réalisation des cyberattaques.
Toujours selon ce rapport, l’appropriation du cyberespace à des fins offensives par le gouvernement nord-coréen s'appuie sur un constat relativement commun : c’est dans le domaine informationnel que l’adversaire a ses points faibles, c’est là que se jouent les affrontements et les victoires dans les guerres se préparent en temps de paix en accédant aux informations techniques militaires des puissances étrangères. Cette route vers le cyber-offensif aurait été ouverte par Kim Jong-il. Le texte cite plusieurs déclarations du président nord-coréen actuel, lequel considérerait notamment la cyberguerre comme une « arme magique ». La stratégie nord-coréenne reposerait sur deux piliers majeurs : une dimension guerre asymétrique, et le recours à des activités criminelles pour acquérir des ressources financières. Le cybercrime surpasserait même désormais les activités criminelles traditionnelles nord-coréennes (regrettons que l’auteur ne propose de donnée chiffrée que pour la part du cybercrime) et serait aujourd’hui l’un des plus actifs et agressifs de la planète (attaques pour tester les capacités des adversaires, « cyberterrorism, revenge attacks, and extortion; cyber bank robbery; cryptocurrency exchanges and decentralized finance (DeFi) platforms; and (after the onset of COVID) pharmaceutical companies »). Les capacités et les pratiques de l’Etat nord-coréen constituent donc, insiste Bruce Klingner, une menace à la sécurité nationale. L’annexe 2 du document propose un inventaire de cyberattaques attribuées aux hackers nord-coréens ou d’affaires qui leur sont liées (données à partir desquelles nous produisons le graphique ci-dessous).
Ce rapport appelle quelques commentaires. Longtemps la possibilité d’attribuer les cyberattaques a été qualifiée d’obstacle quasi-infranchissable, tout doute restant permis quant à l’identité réelle des auteurs et responsables, tant les pratiques d’anonymisation, de tromperie, de leurres sont possibles dans cet espace technologique. Tout ce qui est porté au compte de la Corée du Nord dans ce rapport doit-il l’être vraiment ? Les sources sont-elles toutes fiables ? Les quelques tactiques et modes opératoires des hackers nord-coréens (évoqués pages 7 et 8 du rapport), révèlent tout autant les compétences de ces derniers, que l’incapacité dans laquelle se trouvent encore les pays ciblés à anticiper ou contrer toutes les attaques. Les difficultés et défis d’il y a dix ans en matière de cybersécurité/défense semblent rester ceux d’aujourd’hui. Les mesures que préconise Bruce Klingner pour contrer cette cybermenace sont somme toute conventionnelles : évaluer plus précisément la menace ; adopter une approche « globale » au niveau national pour coordonner les moyens de lutte contre cette menace nord-coréenne ; renforcer la coopération public-privé ; coopérer internationalement ; s’engager plus fermement sur la voie de sanctions à l’encontre des hackers nord-coréens ; réguler les échanges en cryptomonnaies ; décider des réponses que les Etats-Unis doivent apporter aux cyberattaques nord-coréennes (les options sont peu nombreuses : des cyberattaques de représailles produiraient peu d’effets en Corée du Nord ; et répondre militairement semble également impossible). L’auteur débat des modes de dissuasion envisageables, pour répliquer aux cyberattaques nord-coréennes. Il écarte l’hypothèse de contre-attaques prenant la forme de cyber-opérations, estimant que la Corée du Nord est peu exposée à de telles manœuvres (la surface d’attaque serait donc trop étroite en Corée du Nord pour porter véritablement un coup au pays). L’auteur évoque également le droit pour les USA de mener des actions militaires en représailles. Selon nous cette option n’en est pas une. Quel pays occidental se risquerait à lancer des opérations militaires en Corée du Nord ? Pour l’heure la réponse passera plus probablement par le renforcement de sanctions à l’égard des responsables et auteurs des attaques. Autant dire que les hackers ont encore de beaux jours devant eux.
Lire le
rapport : Bruce Klingner, North Korean Cyberattacks: A Dangerous and
Evolving Threat, The Heritage Foundation, Special Report, n°247, 2 September
2021, 51 pages, Washington DC. https://www.heritage.org/sites/default/files/2021-09/SR247.pdf