Chine, Philippines, Vietnam : (cyber)relations sous haute tension. Daniel Ventre. 12 mai 2012.
Le 27 septembre 2011 le quotidien chinois Global Times publiait un article appelant la Chine à entrer en guerre contre le Vietnam et les Philippines, les deux pays remettant violemment en cause la souveraineté maritime de l’empire du milieu dans la mer de Chine. Selon l’auteur de l’article, la Chine n’a pas à craindre la réaction des Etats-Unis qui n’ont plus les moyens de s’engager dans un nouveau conflit, car déjà trop investis dans la lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient.
La tension s’est accrue le 10 avril 2012 après qu’un navire de guerre philippin ait tenté d’arrêter un bateau de pêche chinois dans la zone maritime du Scarborough Shoal (îles Huangyan). En mai 2012 la plupart des agences de voyage chinoise auraient suspendu les séjours aux Philippines. Un appel à la prudence a été lancé aux ressortissants chinois présents aux Philippines, en raison des manifestations populaires hostiles à leur égard. La tension qui porte sur les îles Spratley n’est pas nouvelle. Aujourd’hui la tension monte d’un cran parce que la Chine revendique ces parties de la mer de Chine en raison de leurs ressources premières (pétrole), et parce que les Philippines bénéficient de ventes d’armes accrues de la part des Etats-Unis.
Comme c’est désormais souvent le cas lors de tensions internationales, l’affaire a son versant « cyber ». Une chronologie des quelques attaques recensées, opposant hackers chinois et philippins est proposée sur le site Hackmageddon. Il ressort de ce court recensement que les cyberattaques se limitent à des défigurations de sites, souvent officiels, et pour la plupart a priori imputables à des citoyens-hackers davantage qu’à des organisations étatiques. Comme toujours, il s'avère difficile en la matière de différencier attaques étatiques et non étatiques sur la seule base de l’identité des sites touchés et des messages postés qui tous expriment les mêmes sentiments (antichinois, anti-philippin). Attaques DDoS, publications sur des sites (Facebook notamment) de mots de passe d’administrateurs de sites du camp adverse font partie de la panoplie des moyens de l’affrontement. Les quelques appels à la retenue lancés aux hackers par le gouvernement philippin notamment, sont sans effets. Les attaques sont imputées a priori à des hackers des pays qui s’affrontent (c’est ainsi que côté chinois on voit réapparaître la signature Honker Union, groupe qui se fit connaître en 1999 après le bombardement de l’ambassade de Chine à Belgrade).
Des hackers chinois et vietnamiens s'opposent également. En 2011, environ 200 sites vietnamiens auraient été défigurés. Le Vietnam semble occuper une place particulière dans l'opposition à la sinisation de la région (voir à ce sujet l'article publié dans la revue Recherches Internationales d'avril 2009).
Les capacités de contrôle du cyberespace tant en Chine qu'au Vietnam sont telles que l’on peut toutefois admettre que les autorités, même si elles ne prennent pas directement part aux opérations, ne font pas vraiment grand-chose pour les empêcher. L’éventualité d’une intervention de hackers externes, c’est-à-dire n’appartenant pas aux pays en crise, n’est pas particulièrement évoquée dans les divers articles publiés sur le net. Il est vrai que les pays impliqués n’ont guère besoin de ressources externes pour s’exprimer dans le domaine : selon une étude de Kaspersky, les Philippines et le Vietnam font partie des 23 pays d’où partaient en 2011 la majorité des attaques DDoS. Les Philippines faisaient également partie du top 20 des pays ayant la plus forte activité cybercriminelle.
Plus importante sans doute, d’un point de vue stratégique et politique, est la position prise par les Etats-Unis début mai 2012 : Leon Panetta (Secrétaire à la Défense) affirme que les USA travaillent à l’amélioration des capacités d’ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) et de réaction aux cyberattaques dont disposent les Philippines. Cette démarche est un volet de la coopération militaire entre les deux Etats.
Les coups portés contre les sites chinois démontrent une nouvelle fois que l’infrastructure internet du pays est tout aussi vulnérable que celles des autres nations. Il n’a pas été fait mention, tant aux Philippines qu’en Chine ou au Vietnam, de mise en péril des infrastructures critiques du fait des cyberattaques. Celles-ci se limitent donc à des défigurations de sites (comme cela se pratiquait déjà voici plus de 10 ans), des attaques DDoS (méthode médiatisée depuis les attaques contre l’Estonie en 2007), et l’utilisation de la blogosphère pour exprimer verbalement son hostilité. Les blogueurs chinois appellent Pékin à boycotter les Philippines ou à faire la guerre. Il ne faut bien entendu pas assimiler les propos tenus sur la blogosphère aux postures et intentions réelles des gouvernements. Certains observateurs estiment par contre que l’incident vient fort à propos pour les autorités chinoises, car il détournerait l'attention de la population des problèmes politiques actuels (Chen Guangcheng, Bo Xilai).